Quand la neige ne tombe pas du ciel

Une patinoire, ça ne se fait pas comme par magie. Tout le monde sait que quelqu’un arrose la glace durant la nuit pour qu’elle soit belle le lendemain.

Plusieurs s’imaginent que les pentes qu’ils dévalent en ski ou en planche à neige se font toutes seules; qu’il tombe suffisamment de neige pour qu’elles soient prêtes dès décembre. Pourtant, c’est faux : la majorité de la neige qui se trouve sur une montagne de ski est créée de toute pièce. En début de saison, c’est parfois même 100 % de la neige qui est artificielle. Si vous êtes un adepte des remonte-pentes, vous le savez sûrement déjà. Toutefois, vous ne savez probablement pas à quel point sa fabrication est ardue.

Il y a des gens trop souvent oubliés. Des travailleurs de l’ombre qui sont rarement mis de l’avant, mais qui rendent tout possible. Leur nom : les enneigeurs.

Daniel Blais fait partie de ceux qui connaissent l’enneigement comme le fond de leur poche. Tombé dedans quand il était petit, il travaillait déjà sur les pistes dès l’âge de 13 ans. Avec plusieurs montagnes derrière la cravate, Dan est maintenant directeur de montagne au Mont Cascade, à Gatineau. Si vous parlez de lui aux skieurs de l’Outaouais, du Massif de Charlevoix ou du Mont-Blanc, chacun vous dira la même chose : l’enneigement, c’est plus que sa tasse de thé.

1 – Faire apparaître de la neige 101

« L’enneigement, c’est la base d’une montagne. Sans ça, il n’y a rien qui se fait. »


« L’enneigement, c’est la base d’une montagne. », débute Dan. « Sans ça, il n’y a rien qui se fait. » Que la remontée mécanique fonctionne à merveille, que la cafétéria possède trois étoiles Michelin ou que le parc à neige soit équipé des meilleurs modules au pays, une station de ski sans neige est complètement futile.

L’enneigement s’étend généralement du 15 novembre au 31 janvier. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’opération n’a rien de simple. Pour avoir une neige de qualité, il faut se dévouer et il y a de nombreux éléments à respecter. « Moi, ce que je veux, c’est que les conditions soient impeccables. Je suis vraiment difficile et exigeant là-dessus. », précise Dan.

Il y a deux équipes de travail qui se complètent : une de jour et une de nuit. « De jour, le travail est plus manuel. On va s’arranger pour que les gars n’aient pas à déplacer de canons en soirée. De nuit, on enneige parce que c’est là qu’il fait plus froid. »

L’enneigement fonctionne de cette façon : de l’eau et de l’air sont expédiés du bas jusqu’au haut de la montagne grâce à une ligne, des pompes et des compresseurs. Une fois au sommet, l’eau et l’air sont acheminés à des canons grâce à différents boyaux. L’eau est ensuite séparée en fines gouttelettes par les canons pour favoriser la cristallisation. Une fois dans les airs, les gouttelettes gèlent et se transforment en mini billes de glace avant d’avoir touché le sol.

Lorsque l’enneigement est terminé, c’est au tour de la dameuse de faire son entrée. Cet engin de taille gigantesque concasse d’abord la neige pour la rendre encore plus fine, puis l’écrase et façonne finalement la piste.

Comme ça, ça semble plutôt simple. Ce n’est pas le cas. Il y a beaucoup d’éléments qui doivent être pris en compte et qui sont indispensables à la réussite du processus. D’abord, la direction du vent est fondamentale. Comme dit Dan : « Tu ne peux pas réussir à faire de la neige quand le vent est contre toi, c’est impossible. » Si le vent change de direction, ce qui est fréquent lorsque la nuit tombe, les canons doivent être déplacés et réorientés.

Ensuite, l’équipe doit vérifier qu’aucune fuite ne se crée dans les tuyaux et les boyaux. Les canons nécessitent aussi une attention particulière durant la manœuvre. L’air doit y circuler normalement et l’accumulation de neige doit être retirée au fil de l’enneigement.

Toutefois la chose la plus importante, c’est la ligne d’eau. En tout temps, l’équipe doit s’assurer que le débit d’eau est adéquat pour le nombre de canons mis en place. S’il y a trop ou pas assez de canons, la ligne risque de geler. Et ça, c’est ce que tout enneigeur redoute par-dessus tout.



2 – Les gels de ligne : la bête noire des enneigeurs

Il n’y a pas grand-chose qui puisse causer un cauchemar à un enneigeur. Il y a le manque d’électricité dû à de forts vents ou à la chute d’un arbre, mais surtout : un gel de ligne. « Si tu gèles, t’es dans le trouble », avertit Dan. Évidemment, sans eau, c’est assez dur d’enneiger. Heureusement, tout problème a une solution, mais celle pour résoudre un gel de ligne est loin d’être facile.


« D’un, il faut essayer de savoir où le tuyau est gelé. Une fois qu’on a trouvé, on ouvre la valve qui se trouve le plus près du gel afin que l’eau s’écoule. Après ça, on chauffe le tuyau avec des chalumeaux qui pèsent 20 livres et qui projettent des flammes de 150 000 BTU. On continue, ainsi de suite valve après valve, jusqu’à tant que la ligne soit toute dégelée. Ça peut prendre de deux, quatre, voire même six heures, ça dépend. », nous relate Dan. « C’est assez rare que ça arrive. Quand tu anticipes ton écoulement d’eau et que tu vérifies bien tes drains, il n’y a pas de problème. Quand tu ne le fais pas, là, il y en a un. »



3 – Ce n’est pas fait pour tout le monde

« L’enneigement, c’est le job le plus difficile sur une montagne », lance Dan, d’un ton assuré. Pour aimer ce métier-là, il faut vraiment être fait pour ça. Et les gens qui font de l’enneigement toute leur vie sont assez rares, selon lui.

Un shift d’enneigement, c’est 12 heures. Un enneigeur peut travailler jusqu’à quatre ou cinq jours de suite. Ajoutez à ça les températures glaciales, l’effort physique et la fatigue, et on comprend vite pourquoi l’emploi est si ardu. « Tu déplaces des canons. Tu brasses des tuyaux. Tu changes des choses de place. Tu travailles avec de l’eau, donc tu deviens trempé. T’es obligé d’aller te changer. Tu reviens à l’extérieur. T’as l’effet de fatigue aussi qui s’ajoute. Donc, 12 h sur l’enneigement quand quelqu’un se donne à 100 %, c’est difficile. C’est pour ça que quand ça fait quatre ou cinq jours que quelqu’un travaille, soit près de 48 h à 60 h, on essaie de donner une pause à nos employés. »

« Quand il fait frette, tu travailles. Quand il va faire -5 et moins, c’est là que tu vas avoir tes congés. »


En plus de la fatigue qui s’accumule, il y a aussi les blessures. Et ce n’est pas les engelures qui guettent les enneigeurs, c’est plutôt les lésions aux mains. « On vient avec les doigts gercés à cause de l’eau. Ça nous fendille de partout. On est obligé de se mettre de la crème et des fois on a de la misère à toucher les choses parce qu’on a mal aux mains. Ça fait deux jours que je suis au repos et je commence juste à me sentir bien. Quand t’es tout le temps dedans, c’est plus difficile à guérir. »

Vu les conditions et la description des tâches, il n’y a qu’une poignée d’individus qui décident d’exercer ce métier. « Faut vraiment aimer être à l’extérieur, ne pas avoir peur du froid et être dur envers son corps. », selon Dan.

Évidemment, avec la rudesse de l’emploi, le recrutement en écope. « Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas qui essaient le travail. On a essayé des gens de tous âges, autant des personnes qui étaient avancées en âge, que des jeunes de 18, 19 et 20 ans, mais les gens trouvent ça trop difficile physiquement. Et comme les gens ne restent pas longtemps, ça fait que la formation est toujours à recommencer. »



4 – Des avantages uniques

Après avoir épluché le métier, on pourrait se questionner sur l’intérêt de faire ce boulot. Malgré l’énergie que ça demande, il y a de nombreuses récompenses qui accompagnent la profession. Les avantages ne sont toutefois pas les mêmes selon le quart de travail.

Vivre à des heures plus normales, ça donne toute une opportunité aux employés de jour. Chaque matin et chaque fin d’après-midi, ils sont aux premières loges pour admirer le soleil dans toute sa splendeur. « Une grosse partie de la paye, c’est les levers et les couchers de soleil. Combien de photos j’ai prises! Combien j’en ai vu! C’est vraiment dur à battre. Le gars de nuit, lui, il ne voit pas ça. »

De l’autre côté, il y a aussi ceux qui ne vivent pas dans le même fuseau horaire que la moyenne des ours : les gars de nuit. De 2000 à 2001, Dan était superviseur de nuit à Mont-Blanc. Il a aussi fait quelques nuits récemment pour veiller aux opérations du Mont Cascades.

Le plus grand avantage de travailler de nuit, c’est la tranquillité qui vient avec. « Le silence de la nuit. Le sifflement des canons. Les fans. Personne pour te déranger. Les étoiles. Les lumières de la ville au loin. Je dirais quasiment que c’est jouissif. J’ai apprécié ça comme ça ne se pouvait pas. », nous raconte Dan. La nuit, c’est aussi une tout autre vie qui se met en marche. « Des chevreuils, aux renards, tu côtoies toutes sortes de petites bestioles que tu ne vois pas de jour parce qu’ils dorment. »

Ça pourrait sembler étrange, mais travailler de nuit amène aussi un meilleur sommeil. Dan explique : « Bon d’abord, faut être capable de dormir de jour, là. On s’entend. Mais quand tu travailles de nuit, tu dors mieux. C’est surtout parce que tu sais que quand tu finis à 7 h du matin, tu t’en vas dormir. De jour, quand tu termines à 19 h, tu fais des choses : tu vas manger, tu vas écouter la télé, tu vas prendre une petite bière et oups, il est minuit. Comme tu te lèves à 5 h du matin, ton laps de temps pour dormir est pas mal plus court que les gars de nuit. Combien de fois ça m’est arrivé quand j’étais plus jeune de me coucher à 2 h du matin quand je me levais à 5 h 30. J’étais capable de le faire à l’époque, mais astheure, ne me demande plus de faire ça. »

Le dernier privilège des employés de nuit, c’est qu’après avoir enneigé les pentes toute une nuitée, tu es le premier à les descendre le matin. « À l’ouverture des pistes, t’es là pour faire de la poudreuse. Ça, là, c’est vraiment une joie qui vaut beaucoup. »



5 – Déjouer le froid

Pour rester près de 10 h à l’extérieur, il faut être bien habillé. « Avoir deux ou trois couches, c’est important. Comme ça, s’il y a de la sueur, c’est seulement le premier gilet qui est imbibé. », fait savoir Dan.

Le secret, c’est d’avoir beaucoup d’items en double et en triple. Le métier d’enneigeur a des similarités avec celui de mannequin. Dans les deux cas : il faut se changer régulièrement. « Souvent les gars vont changer de bas, deux à trois fois par shifts. Ils ont aussi deux paires de bottes. Les gants : ils en ont trois paires et il change à peu près toutes les heures, parce qu’on travaille dans l’eau. Heureusement, on peut les mettre près des compresseurs et ils sèchent très rapidement. »



6 – Ceux à qui on doit beaucoup

De la neige artificielle, c’est capricieux. Pour offrir des conditions de glisse optimales, ça prend un dévouement semblable à celui d’une maman. « Des fois, j’aimerais prendre un client insatisfait et lui dire : viens donc passer deux journées avec moi. Viens comprendre c’est quoi. », nous avoue Dan.

Pour être enneigeur, il ne faut pas être frileux et il faut encore moins avoir peur du mot ouvrage. Des mains qui se lèveraient pour prendre leur job, il n’y en a pas beaucoup. Et c’est ce qui les rend si précieux.

Au final, il y a une caractéristique qui les rassemble tous : ce sont des passionnés.

Quand on demande à Dan : « Est-ce que tu te vois toujours faire ça? », il nous répond : « Ah, moi je suis un passionné. Je n'ai pas eu un seul congé ces 30 derniers jours. Il y a des nuits où je ne dors pas. Je suis là et je pense à ce qu’on pourrait faire pour améliorer nos pistes. Même si là je trouve ça dur parce qu’on arrive à la fin de l’enneigement, j’aime ça pareil. La seule chose qui m’empêcherait de continuer, ce serait de ne plus être capable d’aller sur le terrain et de me faire dire que je vais devoir rester dans mon bureau. Je pense que là, je lâcherais peut-être le métier. »